La consigne ou le succès du retour à l’envoyeur

Le Monde, 11/05/19, 18h53 

Catherine Rollot 

 

Partout en France, la consigne des bouteilles en verre se développe. Une tradition qui renaît sous l’impulsion du zéro déchet, du vrac et des circuits courts. 

 

« Rapportez-moi ! » Le message est passé, toute la France s’y met, ou plutôt s’y remet : la consignation des contenants, pratique tombée en désuétude depuis les années 1980, revient en force : « Bout’à Bout’» dans les Pays de la Loire, « Jean Bouteille » dans le nord de la France, « Ma bouteille s’appelle reviens » dans la Drôme, « J’aime mes bouteilles » dans le Jura, « Reconcil » à Paris… les initiatives locales fusent pour faire renaître cette filière industrielle écologique.

En région parisienne, Loop, une plate-forme d’e-commerce fondée sur la réutilisation, sera inaugurée le 15 mai. « Personne ne prend le risque de relancer au niveau national un projet pilote ­d’envergure. Mais au niveau local, ça bouillonne et c’est par là que ça marchera », prédit l’un des pionniers du ­secteur, Gérard Bellet.

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En 2014, ce jeune diplômé d’une école de commerce se lance avec une idée en tête : associer le vrac et le réemploi. Il installe ses fontaines d’huile, ­vinaigre, vins, mais aussi de lessive, produits d’entretien, etc., dans quelques magasins de la région lilloise. Les clients achètent (2 euros) et remplissent leur « Jean Bouteille » qu’ils lavent eux-mêmes et réutilisent à l’envi, ou les redéposent en magasin et récupèrent une partie de la somme (1 euro). Elles sont alors lavées par l’entreprise et remises sur le circuit.

 

Pourfendeurs du « verre perdu »

« Notre modèle a décollé grâce à notre parti pris du vrac. Sans lui, on n’en serait sans doute pas là », admet celui qui est aujourd’hui à la tête d’une PME de 21 personnes présente dans plus de 600 magasins (notamment les enseignes Biocoop et Franprix) dans le nord de la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. « Le but est que le client lave lui-même sa bouteille. C’est plus rentable économiquement pour nous et plus ­performant environnementalement car cela supprime le transport entre la ­laveuse, la bouteille et le magasin. » Pari gagné : 200 000 Jean Bouteille ont été adoptées par les consommateurs et seulement 3 000 reviennent chaque mois dans l’entreprise.

A Nantes, Célie Couché, 34 ans, s’est elle aussi mis en tête de donner plusieurs vies aux bouteilles de verre. ­Depuis un an, son association, Bout’à Bout’, travaille à la relance de cet usage à l’échelle des Pays de la Loire. Cent mille bouteilles ont déjà échappé à la casse. Une vingtaine de producteurs et une cinquantaine de points de vente se sont associés à l’aventure.

La Lilloise d’origine, venue à Nantes après des études de sociologie et de développement durable et des expériences professionnelles dans le secteur de l’environnement, fait partie de ces pourfendeurs du « verre perdu ». Dans l’atelier de l’entreprise Boutin, son prestataire, au milieu du bruit et de la vapeur, défilent sur le tapis tournant sept bouteilles en verre couleur mousse, miel ou ambre.

Bientôt avalées par une sorte de grosse lessiveuse, elles ressortiront toutes propres et débarrassées de leurs bagues, cols et étiquettes de papier. Prêtes à être remplies à nouveau de vin, bière, cidre et autres jus de fruits. La ­consigne limite l’usage des ressources naturelles (une bouteille peut être réutilisée jusqu’à cinquante fois) et permet d’économiser jusqu’à 76 % d’énergie. Le recyclage du verre implique un procédé très énergivore car les bouteilles doivent être fondues pendant vingt-quatre heures à 1 500 °C.

Disparue sous l’avalanche des emballages jetables, jugée ringarde, la consigne a seulement persisté dans le circuit des cafés, hôtels et restaurants, et pour les particuliers dans le Grand-Est (Alsace en tête). Mais le développement du vrac et des circuits courts ainsi que la tendance zéro déchet lui donnent un ­second souffle.

Idée simple – faire payer au consommateur une sorte de caution de quelques centimes, qui lui est restituée au retour de l’emballage en magasin –, elle jouit d’un certain capital-sympathie. Selon une étude (octobre 2018) de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), 88 % des consommateurs français y sont favorables.

Au-delà des cercles écolos, « le côté madeleine de Proust de la bouteille que l’on rapportait à l’épicier, le romantisme du laitier anglais, le côté marqué au coin du bon sens du geste, parlent à un grand nombre », confirme Bastien ­Vigneron, cofondateur du Réseau Consigne, une association qui fédère et soutient les initiatives locales.

Mettre en place un circuit fondé sur le retour des emballages n’est pourtant pas une mince affaire. « La plupart des bouteilles sont destinées à un usage unique, donc plus fragiles », explique ­Célie Couché. Les étiquettes sont un autre casse-tête. Adhésives, elles se ­décollent difficilement. Mais il en faut plus pour décourager la jeune femme. Avec sa gamme de bouteilles standardisées résistantes au lavage et des étiquettes hydrosolubles sous le bras, elle a ­entrepris une tournée des producteurs de la région pour les persuader des vertus du consigné.

Autre difficulté : le nettoyage. Les laveuses industrielles se font rares. A peine une dizaine en état de marche dans toute la France. Coup de chance, dans la région nantaise, la société Boutin en possède encore une qui tourne au ralenti depuis des années. « Il y a quinze ans, nous avions deux laveuses, constate Nicolas Lalloue, responsable de la production chez Boutin Services. Au fil du temps, l’idée même de réutiliser les bouteilles a disparu. Sous l’impulsion de Bout’à Bout’, on voit revenir certains de nos anciens clients. »

 

Un modèle local

Compte tenu des adaptations nécessaires, les plus motivés par la consigne ont d’abord été des producteurs locaux, dont les volumes permettaient de basculer facilement sur un nouveau modèle. Samuel et Fabien Marzelière, 32 et 29 ans, ont même intégré dès le ­départ le principe de la consigne dans leur projet de brasserie houblonnière, en Loire-Atlantique.

« Pour nous, il y avait une cohérence entre notre choix de faire une bière bio et de diminuer les déchets », explique Fabien, ancien éducateur spécialisé. Avec son frère, qui, lui, a quitté son métier d’ingénieur en travaux publics, le trentenaire a commercialisé ses premières bières Tête haute dans des bouteilles consignées cet automne, et ce « d’autant plus facilement que cela ne coûte pas plus cher ».

Bout’à Bout’organise la collecte chez les producteurs ou les distributeurs et s’occupe de les envoyer au lavage, un service sur lequel elle se rémunère. Les contenants lavés et repalettisés sont ­rachetés ensuite par les producteurs. Une bouteille de bière neuve coûte 29 centimes alors que, dans sa version réutilisée, elle revient à 21 centimes. « Contrairement au recyclage, rappelle l’entrepreneuse, l’Etat ne subventionne pas le système de la consigne. Or, pour être rentable, il faut du volume. » Objectif à atteindre : 3 millions de bouteilles consignées d’ici cinq ans.

Les indicateurs sont encourageants. En un an de fonctionnement, les bouteilles ont été réutilisées 4,75 fois, et le taux de retours est de près de 80 %. Les consommateurs jouent le jeu, alors que l’incitation est pour l’instant laissée au libre choix des partenaires (carte de fidélité, caution monétaire ou autre ­rétribution…).

 

Christine Clémot, à la tête de Dose de sens, une épicerie de vrac nantaise, a opté pour un système de caution. L’espace des produits consignés est bien visible. « Pas tout le monde ne le remarque, malgré tout, sourit la jeune femme, ­ex-responsable qualité dans l’agroalimentaire. A la caisse, quand on explique qu’il y a quelques centimes supplémentaires pour la consigne, l’accueil est plutôt bon. Il faut dire que notre clientèle est constituée de convertis au zéro déchet », admet-elle.