La France n’est pas préparée au « choc climatique » qu’elle subira d’ici à 2050

 Le Monde, 16/05/19, 13h43

 de Pierre Le Hir et Audrey Garric 

 

Vagues de chaleur, sécheresses, submersions : l’Hexagone doit anticiper les effets du réchauffement, en adaptant l’agriculture, le bâti ou les territoires vulnérables. 

 

Un climat méditerranéen sur la moitié de l’Hexagone, des sécheresses des sols intenses et longues, des phénomènes de submersions marines plus fréquents. D’ici à 2050, la France devra absorber un « choc climatique inévitable ». Comment y faire face ? Avec quels outils et quels moyens ? C’est l’objet d’un vaste rapport rédigé par les sénateurs Ronan Dantec (écologiste, Loire-Atlantique) et Jean-Yves Roux (divers gauche, Alpes-de-Haute-Provence) sur l’adaptation de notre pays aux dérèglements climatiques au mitan du siècle, publié jeudi 16 mai. Ce travail, le plus complet jamais réalisé sur le sujet, conclut en substance que la France n’est pas préparée.

Dans ce document de 150 pages, commandé et adopté par la délégation à la prospective du Sénat et rédigé à l’issue de l’audition de 36 experts, les sénateurs avancent une trentaine de propositions pour « enclencher une véritable mutation de la société », telles que la mise en place d’un plan national d’adaptation de l’agriculture, le développement de normes de construction anti-inondations ou la mise en open source (accès libre) des données climatiques.

« Les politiques d’adaptation souffrent encore d’un déficit persistant de reconnaissance et de légitimité, à la fois dans le débat public et dans les politiques publiques », regrette Ronan Dantec. De fait, les acteurs envisagent encore trop souvent les enjeux climatiques au travers du seul prisme de l’atténuation, c’est-à-dire la limitation des émissions de gaz à effet de serre et la protection et l’amélioration des puits de carbone, ce qui revient à s’attaquer uniquement aux causes du changement climatique. Son corollaire, l’adaptation, qui traite des conséquences du dérèglement du climat en limitant ses impacts négatifs, est moins pris en compte. Par exemple, seuls 20 % des financements internationaux sur le climat y sont consacrés. Or, les deux stratégies, « éviter l’ingérable » et « gérer l’inévitable », comme les nomme le rapport, devraient aller de pair.

Les politiques d’adaptation sont un « enjeu à la fois urgent et majeur ». Car, rappelle le rapport, « le réchauffement climatique et ses stigmates sont déjà là, transforment la géographie physique et humaine de la France et font peser sur nos existences des contraintes et des risques tangibles ».

 

Jusqu’à + 5 °C en été

Nous sommes donc en 2050. Selon le scénario « relativement optimiste » retenu dans le rapport, la machine climatique mondiale ne s’est pas complètement emballée et le cadre géopolitique n’a pas fondamentalement évolué par rapport à aujourd’hui. Si notre société ne s’est pas effondrée, les impacts du changement climatique se sont aggravés de « manière significative », même si « encore non critique ». Dans cette France à + 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, les vagues de chaleur sont plus fréquentes et plus intenses, l’enneigement en montagne continue de diminuer et les glaciers de reculer.

C’est en réalité dans la seconde moitié du XXIe siècle que la situation climatique sera « vraisemblablement très dégradée ». A ce moment-là, les prévisions s’avèrent incertaines, car elles dépendent essentiellement des choix qui seront faits aujourd’hui pour réduire (ou non) les émissions de gaz à effet de serre. Mais cette prospective plus lointaine s’avère nécessaire, assurent les auteurs, pour de nombreuses décisions de long terme en matière d’aménagement public, de construction d’infrastructures ou de replantation de forêts.

Dans un scénario de poursuite des rejets au même rythme qu’actuellement, la France est en 2100 « écrasée de chaleur », particulièrement dans le Sud-Est. Les températures grimpent de + 3,4 °C à + 3,6 °C en hiver et + 2,6 °C à + 5,3 °C en été par rapport à la moyenne de référence (1976-2005). Les canicules extrêmes se multiplient, bien plus sévères que celle de 2003. Les précipitations augmentent l’hiver, sauf dans le Sud-Ouest. La hausse du niveau de la mer atteint 60 cm à 1 mètre par rapport au début du XXe siècle. La période de sécheresse des sols duresix mois au lieu de deux mois sur la période 1961-1990. Vers 2060, les territoires méditerranéens sont soumis à un risque extrême d’incendie 80 à 100 jours par an.

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Loi-cadre sur l’adaptation

Malgré cet avenir qui ne va cesser de s’assombrir, les rapporteurs pointent « une mobilisation globalement insuffisante », et même « embryonnaire pour la grande majorité des collectivités territoriales et des filières économiques ». Et ce, en dépit de l’adoption, en 2011, d’un premier « plan national d’adaptation au changement climatique », suivi d’un deuxième pour la période 2018-2022 – deux textes non normatifs.

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Ils préconisent donc « d’envoyer sans tarder un signal politique fort sur le caractère prioritaire de l’adaptation », notamment en confiant au Parlement l’examen d’une loi-cadre sur ce sujet, assortie d’un « large débat sociétal », ainsi que d’une inscription des enjeux climatiques dans le cursus scolaire et la formation professionnelle. Un « rôle moteur » devrait aussi être donné aux régions et aux structures intercommunales, les mieux à même de définir et de mettre en œuvre des politiques territoriales efficaces.

Ils mettent encore en avant la nécessité « d’un chiffrage transparent et crédible des besoins financiers ». Le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, a annoncé que 3,5 milliards d’euros seront alloués au deuxième plan national d’adaptation, alors que le précédent n’avait bénéficié que de 17 millions d’euros. L’effort paraît donc significatif. Mais cette enveloppe – outre qu’elle ne figure pas explicitement dans le plan – provient pour l’essentiel (3 milliards d’euros) d’une réaffectation d’une partie des budgets des agences de l’eau. « Sans un accompagnement financier fort, les collectivités auront du mal à s’engager véritablement dans des politiques ambitieuses », préviennent les sénateurs.

 

Normes de construction et agroécologie

A leurs yeux, plusieurs chantiers sont « cruciaux ». D’abord, « l’accompagnement des territoires les plus vulnérables face au changement climatique ». Il s’agit des outremers, particulièrement exposés au risque cyclonique, des zones littorales, grignotées par l’érosion et menacées de submersion, ainsi que des régions montagneuses, où le réchauffement fragilise les activités pastorales et le tourisme associé aux sports d’hiver.

Ensuite, « l’adaptation du bâti et de l’urbanisme », par l’adoption de normes de construction et d’aménagement des villes limitant les dommages provoqués par des événements extrêmes tels qu’inondations, tempêtes ou vagues de chaleur.

Autre grand chantier, une refonte des politiques de l’eau, afin de privilégier l’économie et le recyclage de la ressource hydrique – dont l’irrigation agricole consomme aujourd’hui 43 % –, tout en misant sur des solutions naturelles pour la préserver, comme la « désartificialisation » des sols ou la restauration des zones humides.

Les auteurs insistent encore sur l’indispensable « transformation du secteur agricole », en première ligne face à la hausse des températures et à la raréfaction de l’eau. Ils prônent « une mutation vers l’agroécologie », qui renforce la capacité des sols à stocker et à restituer l’eau aux plantes, mais aussi la recherche de variétés culturales plus résistantes à la sécheresse. Ce secteur doit se préparer à « une recomposition de la carte de France des cultures ».

 

Le rapport sera envoyé au premier ministre, ainsi qu’à François de Rugy et à son collègue à l’agriculture, Didier Guillaume. Afin, espère Ronan Dantec, que le gouvernement mette en chantier une « vraie culture de l’adaptation ».